Tous terroristes ? Une question politique

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Qu’est-ce que le terrorisme ? Alors qu’il n’est pas un mois sans qu’un acte terroriste soit perpétré quelque part dans le monde que recouvre ce terme, quels sont les enjeux qui se cachent derrière ?

Comment Oussama Ben Laden est-il passé de figure de proue de la lutte antisoviétique en Afghanistan, ravitaillé par la CIA à « ennemi public numéro un » des Etats-Unis et du reste de la Communauté international ? Outre les activités terroristes que l’on connait, à un moment donné il a été fiché comme tel, il a été défini comme étant terroriste.

Terrorisme : quelle définition ?

C’est, d’après le Larousse, un : « Ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc.) commis par une organisation pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système. » Autant dire que la définition est assez large pour y mettre tout et son contraire.

Aussi étonnant que cela paraisse, il n’y a pas de définition politique du terrorisme à travers le monde. Chaque Etat a sa définition, et même chaque acteur au sein de ces Etats (forces de police, services de renseignement, armées, gouvernements, etc.) en a une idée bien définie, selon son histoire, sa structuration et ses intérêts.

L’ONU s’est bien approchée d’une définition consensuelle en 2000 lors de la réunion de sa Commission juridique : « Les actes criminels faits ou calculés pour provoquer un Etat de terreur dans le grand public, un groupe de personnes ou chez des personnes en particulier pour des raisons politiques sont en toutes circonstances injustifiables, quelles que soient les raisons de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre employées pour les justifier. » Cette définition n’a pas été adoptée, faute de consensus entre Etats.

S’accorder sur la définition d’un élément est éminemment politique car elle arrête alors une réalité, des contours, et des moyens d’action. Un Etat soutenant tel mouvement classé par tel autre Etat comme terroriste, avec l’adoption d’une définition officielle se verrait alors brancardé au ban des Nations… Or il est encore répandu que des gouvernements aiment disposer de moyens de pression, plus ou moins armés, chez leurs voisins…

Le terrorisme, un moyen d’action politique ?

Rappelons tout d’abord que le terrorisme est un moyen d’action politique assez ancien. Le XIXème siècle a été l’âge d’or du terrorisme anarchiste, et nombre de monarques et chefs d’Etats européens ont péri dans des attentats commis par d’autres Européens – anarchistes et révolutionnaires principalement. Le terrorisme a évolué dans ses formes avec l’évolution des sociétés.

D’ailleurs, qu’est-ce qui différencie un chef de guérilla (quelle soit marxiste-léniniste ou non, urbaine ou dans le maquis, la brousse ou la jungle) d’un chef terroriste ? Le regard que les principales puissances lui accordent, ainsi que ses modalités d’intervention. L’attaque de civils est prohibée par le droit international, en temps de guerre comme en temps de paix.

La Cour pénale internationale n’a pas de compétence pour traiter des affaires de terrorisme. Pourtant, et principalement depuis 2001, le terrorisme est venu au centre des problématiques internationales. Le Conseil de sécurité de l’ONU classe, depuis 15 ans, les actes terroristes comme faisant partie des crimes les plus graves au niveau international.

Pourtant, quelques cas que je vous soumets amènent à prendre du recul sur la réalité terroriste et son flot d’atrocités.

Tout d’abord, qualifier un opposant de « terroriste », dans nombre de pays, revient à lui dénier sa place dans l’arène politique, et disqualifier son combat – tout en autorisant alors l’adoption d’arsenaux législatifs répressifs.

Nelson Mandela, Prix Nobel de la paix, artisan de la disparition de l’apartheid en Afrique du Sud, fut classé terroriste durant des années pour avoir mené la lutte armée contre le pouvoir ségrégationniste sud-africain. Il a dû attendre 2008 pour que son nom soit retiré des listes américaines de terroristes – soit à l’âge de 90 ans, 14 ans après avoir été élu premier président noir de la République sud-africaine et être une icône mondiale…

Le cas de Nelson Mandela ne doit pas être le seul à nous faire réfléchir sur la dimension éminemment politique de ce qu’est ou n’est pas un terroriste. Yasser Arafat et son OLP (Organisation de libération de la Palestine, créée en 1964) ont été, des décennies durant, qualifiés de terroristes, tout d’abord en Israël et dans la plupart des pays occidentaux ! Il eut lui aussi le Prix Nobel de la Paix. Le Nobel : usine à recycler des terroristes ou est-ce le regard des acteurs politiques qui a changé sur ces mêmes personnes ?

Dernier élément en date : Cuba a été retirée en 2015 de la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme, elle y figurait pour son soutien à l’ETA et aux FARC. Ce retournement voulu par Barack Obama est l’une des traductions de sa volonté de se rapprocher de Cuba, après des décennies d’échec d’embargo contre le régime castriste.

Ce dernier exemple met l’accent sur un élément essentiel du système international de lutte contre le terrorisme : les listes.

Le fichage : dispositif-clef de la lutte antiterroriste

S’il n’existe pas de cadre global de coopération contre le terrorisme, les principaux acteurs internationaux ont chacun développé leurs listes de personnes et organisations terroristes. Ces listes sont régulièrement mises à jour. Les Nations-Unies, les Etats-Unis et l’Union européenne détiennent les listes les plus fournies. La plupart des organismes de coopération régionale ou internationale dispose de sa propre liste, qu’ils alimentent selon leurs problématiques.

La liste de l’ONU est celle des personnes et entités sous sanctions onusiennes. Bien qu’une partie des 630 personnes et 395 entités soit liée à des activités terroristes, puisqu’on y trouve aussi, jusqu’à présent, des acteurs iraniens sous embargo…

La liste de l’Union européenne est scindée en deux parties : l’une sur les personnes et entités extérieures à l’UE, l’autre sur celles établies en Europe. Sur la première, qui concerne les personnes et entité faisant l’objet de gel d’avoirs et d’un renforcement de la coopération judiciaire, policière et pénale, figurent 10 noms et 23 organisations. Sur la seconde, qui ne correspond qu’à un renforcement de la coopération policière, judiciaire et pénale des Etats membres, figurent 57 noms et 47 entités. Dans les deux cas, il ne s’agit pas que de terrorisme islamiste puisqu’on y trouve des organisations irlandaises, des groupes anarchistes italiens ou encore le Parti communiste des Philippines.

Que veulent dire ces listes – je vous épargne celles de l’Egypte, de la Chine ou encore de la Turquie – ? Si l’on s’en tient aux entités, sont qualifiés « terroristes » des groupes correspondant à un contexte national : les Frères musulmans sont classés comme terroristes par l’Egypte et non par la Turquie (qui se trouve parmi les alliés de la Confrérie…), ou que dire des nombreuses organisations ouïghours ou tibétaines classées sous le même vocable par la Chine ? La plupart des organisations sur la liste turque ont le nom « Kurdistan » dedans… Cela rappelle peut-être que les Kurdes sont le plus grand peuple apatride au monde et que plus de 10 millions d’entre eux résident dans le quart Sud-Est de la Turquie, et aussi aux frontières turco-syrienne et turco-irakienne, tiens tiens…

La Syrie est un véritable cas d’école à ce niveau. Qui est terroriste pour Damas, ne l’est pas pour Ankara, l’est encore moins pour Riyad ou pour Washington.

La liste européenne en dit long aussi sur l’histoire proprement européenne du terrorisme, des Brigades rouges italiennes en passant par l’ETA, l’IRA et bien d’autres groupuscules européens ayant fait frémir les chancelleries du Vieux continent.

Conséquences politiques de ce fichage

Mener une lutte contre un groupe terroriste plutôt que contre un autre type d’ennemi est politique et dépasse les seuls actes (terroristes) de ces groupes.

L’arsenal pénal, garanti par nombre de conventions internationales sous l’égide de l’ONU, suffit à donner des réponses appropriées à chaque acte de terrorisme. Pour le dire autrement, les principaux Etats de la planète ont des législations condamnant et sanctionnant tout acte terroriste. Est-il anodin alors de voir se multiplier les « lois d’exception » et autres lois sécuritaires ?

Les attentats contre le World Trade Center, le 11 septembre 2001, marquent un réel tournant dans la perception du terrorisme, mais aussi dans le choix des réponses à y apporter.

Face à l’ampleur des pertes humaines et la force symbolique de cet événement, George W. Bush a déclaré la guerre au terrorisme. De l’Afghanistan à l’Irak nous en connaissons la suite, avec son cortège de morts – qui, lui, se joue des nationalités – et des changements géopolitiques profonds, tant à l’échelle du Moyen-Orient qu’à l’échelle mondiale. Ce terme « guerre » est fondateur d’un changement de réaction. Jusqu’alors on ne faisait la guerre qu’à des Etats, à des armées régulières. L’ennemi devient alors global, transnational, impalpable. Cette nouvelle donne, qui s’ancre dans l’idée de la « guerre juste » ou « légitime », implique de nouvelles réponses, avec de nouvelles technologies. Ce sera le Patriot Act aux Etats-Unis, le renforcement des fichages généralisés en Europe.

Depuis 2001 on peut dresser un bilan de ces politiques de recueillement de données menées en Europe. L’actualité tragique française en donne un écho récent et particulièrement juste. Les mesures sécuritaires adoptées les unes après les autres sont plus du ressort de la criminalité au sens large que de la lutte antiterroriste. Il n’y a qu’à voir le résultat des perquisitions administratives réalisées sous le régime d’état d’urgence et le taux vraiment en lien avec le terrorisme.

Comme l’écrivait en 2007 la chercheuse Colombe Camus : « en combattant de la sorte le terrorisme, non seulement l’Etat se donne les moyens de réaffirmer son emprise sur le monopole de la violence légitime mais il développe des logiques anciennes pour renforcer de manière exponentielle un « monopole du contrôle légitime » à l’encontre de ses citoyens

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