L’Union Européenne, ce vieux débat d’aujourd’hui

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Voici un document que nous avons retrouvé et qui est une vidéo pour le moins fascinante. Il s’agit d’un débat de 1996 opposant d’une part Simone Veil et Jacques Attali et, d’autre part, Jean-Pierre Chevènement et Marie-France Garaud. La polémique porte sur les conséquences de la construction européenne, dont le traité de Maastricht pour lequel le projet d’union économique et monétaire n’est pas encore abouti. Ce qui est le plus frappant, voire choquant, c’est que les arguments utilisés par les uns comme par les autres sont exactement les mêmes que ceux employés aujourd’hui, presque 20 ans plus tard. Mais une chose essentielle a changé : maintenant, le recul historique permet de savoir avec certitude ceux qui avaient vu juste, pour l’essentiel, et ceux qui s’étaient trompés. Il est donc proprement inadmissible que les partisans du traité de Maastricht ne se soient toujours pas amendés ! Il est encore plus choquant qu’avec les mêmes arguments faux qu’à l’époque, les eurobéats nous affirment à nous, euroéalistes, qu’une « autre Union Européenne est possible ».

Ce document vidéo est une pépite qui justifie la montée en puissance de Chevènement. Peut-être ira-t-il à Matignon avec l’élan que lui a donné son dernier livre (1914-2014 : l’Europe sortie de l’Histoire ?). Cette vidéo éclaire également la déliquescence de nos experts économiques orthodoxes (Attali, Minc, etc.) ainsi que la médiocrité politique des démocrates en tout genres (UDF, UDI, MoDem, PRG, etc.).

Nous pourrions même avec du recul, nous amuser à confronter le discours aux faits. Voici le débat retranscrit sur le papier :

Jean-Pierre Chevènement : « La croissance aujourd’hui est nulle car le projet de monnaie unique se fait autour du Mark, c’est-à-dire autour d’une monnaie surévaluée avec des taux d’intérêts tout à fait excessifs sur la durée. […] La méthode qui consiste à vouloir donner la priorité à la réduction des déficits publics aussi bien en Allemagne (50 milliards de deutschemarks), qu’en France, en Italie et en Espagne et cela simultanément, ça c’est une aberration totale : cela nous enfonce dans une crise mortelle ; et, alors que l’Europe détient déjà le maillot jaune du chômage (près de 20 millions  de chômeurs), c’est vraiment une conception absurde que celle du traité de Maastricht, c’est-à-dire la coordination de toute politique économique à partir de critères monétaristes. »

Ici le lion de Belfort a très bien anticipé la mouvance de ce que nous connaissons aujourd’hui. L’euro est en effet surévalué pour l’économie française. Il n’y a plus guère que des libéraux comme le ministre Moscovici pour le nier. Les élites européennes de l’époque ont cru à tort qu’en armant la France d’une monnaie aussi puissante que le Mark, notre économie pourrait s’aligner sur la même ligne de départ. Ce fut une grave erreur. Depuis le chômage n’a eu cesse d’augmenter. Nous avons constaté que l’Europe n’avait rien de politique et se cantonnait à la seule âme qui lui a été donnée et que les Etats-Unis lui ont souhaitée : une âme monétaire.

Marie-France Garaud : « J’entends dire depuis des années que les problèmes français seront réglés par l’Europe. […] On a entendu le président François Mitterrand dire au moment du traité de Maastricht que ce traité donnerait entre 4 et 6 millions d’emplois en Europe. Par conséquent le lien entre Europe et solution aux problèmes économiques des français il a été fait par ceux-là mêmes qui ont voulu le traité de Maastricht. »

Jacques Attali : « Le traité de Maastricht n’est pas encore appliqué. Lorsqu’il le sera, il est évident qu’il y aura une très forte croissance car nous aurons un grand espace économique avec une monnaie unique. »

 Il y a ici deux choses à retenir.

Tout d’abord pour ce qui est des eurobéats qui reprochent aux euroréalistes de tout mettre sur le dos de l’UE, notons que c’est bien eux qui au départ ont présenté ce projet comme la solution à nos problèmes. Dès lors, soit ils acceptent s’être trompés sur l’importance du projet et nous accordent qu’il est minime et qu’on peut s’en passer pour s’en sortir, soit ils acceptent qu’on adosse en grande partie à l’UE la responsabilité de nos malheurs économiques, sociaux et civilisationnels.

Le deuxième point important de cette discussion est une fois encore les prévisions délirantes des experts orthodoxes qui nous ont anticipé une forte croissance. Croissance magique où es-tu ?

Simone Veil : « Vous savez très bien que le traité de Rome, assumé par le Général de Gaulle, nous a forcé à faire un effort industriel dans une France qui était assez en retard et qui est devenue grâce à ça, une puissance industrielle incontestable. C’est forcé par un volontarisme devenu obligatoire qu’on a progressé. »

Jean-Pierre Chevènement : « Est-ce que le Général de Gaulle aurait accepté aujourd’hui, une Europe qui se fait sur le modèle Allemand avec une banque centrale européenne indépendante… est-ce qu’il ne s’agit pas de faire une monnaie unique qui est aussi forte que le Mark qui est 25% surévaluée par rapport au Dollar ? »

Ici Simone Veil assume aisément l’aspect non démocratique de l’Union Européenne. Il faut forcer les français, ces larbins fainéants et toujours en retard. La rhétorique de la France en retard est usée jusqu’à la moelle est nous est à présent ressortie régulièrement (mariage homosexuel, destruction du modèle social, poids des cotisations patronales, euthanasie) pour nous faire culpabiliser. D’aucun s’étonneront que face à cette culpabilité incessante, des français issus de l’immigration ne veuillent aimer leur pays et les autres en réaction se mettent à devenir nationalistes. Pardonnez d’avance ce clivage que j’effectue ici entre mes concitoyens, il s’agit là d’un exemple.

Jacques Attali : « Soit nous aurons une Europe allemande parce que nous n’aurons pas de monnaie unique et la monnaie unique sera le Mark. Alors la France deviendra irrémédiablement une colonie allemande. Soit nous faisons une monnaie unique et nous aurons à ce moment-là une monnaie qui ne sera pas le Mark. Avec la monnaie unique, nous aurons la chance de créer une Europe qui ne sera pas sur le modèle Allemand. Nous construisons une Europe dans laquelle la France a le même pouvoir que l’Allemagne en matière de décision dans la banque centrale. »

On reproche au Front National de jouer sur les peurs mais force est de constater que les mondialistes le font aussi. « Oh mon dieu nous allons devenir une colonie allemande, vite faisons l’euro ! ». Le plus triste dans tout ça c’est que non seulement c’est comme si nous avions le Mark (puisque l’euro a été créé sur ce modèle), mais en plus nous ne sommes pas dans un rapport égalitaire avec l’Allemagne. Aussi l’hétérogénéité économique qu’a créé l’euro a désindustrialisé la France au profit du partenaire Allemand, faisant non pas de nous une colonie mais un bel endroit touristique en perte de vitesse.

Marie-France Garaud : « Nous sommes en face d’une Allemagne réunifiée d’une part, et deuxièmement, le traité de Maastricht avec l’institution de l’union monétaire, créé qu’on le veuille ou non, qu’on l’avoue ou non, une structure fédérale à l’intérieur de l’Europe. Nous sommes passés d’une construction progressive, pragmatique et confédérale (dans laquelle les Etats restaient maîtres de leurs intérêts essentiels) à une structure fédérale qui a un double inconvénient :

  • Premièrement elle divise l’Europe en deux. On le nie depuis 4 ans mais c’est vrai car nous savons que l’union monétaire ne réunira qu’une partie des pays c’est-à-dire l’Allemagne, le Benelux, la France et l‘Autriche dans un premier temps et nous sommes minoritaires dans cette structure
  • Deuxièmement, elle fait perdurer à l’intérieur de cette structure une situation minoritaire pour la France qui ne pourra pas faire prévaloir ses intérêts. »

Simone Veil : « Au contraire, nous nous sommes plutôt éloignés du modèle fédéral. Le traité de Rome était dans un esprit fédéral. On a compris que l’Europe n’était ni une confédération ni une fédération mais quelque chose de nouveau, et qu’il fallait poursuivre dans cette voie pragmatique. Il n’y a que comme ça qu’on s’en sortira. »

Ici, l’ancienne conseillère de Pompidou avait anticipé les déséquilibres économiques qu’engendrerait l’euro alors que les experts orthodoxes pensaient que ça allait homogénéiser l’UE. Marie-France Garaud anticipe aussi le fait que l’UE a une dominance idéologique anglo-saxonne dans laquelle les valeurs du modèle français ne pourront être défendus mais au contraire attaquées. Nous le constatons tous les jours dans les propositions de la Commission Européenne qui n’a de cesse que de vouloir saper notre modèle social et privilégier les privatisations comme cela a été fait en Grèce.

A contrario, Simone Vieil se plante en beauté en annonçant qu’on s’éloigne du modèle fédéral. Il suffit d’écouter par exemple Europe Écologie les Verts pour réaliser que bien au contraire, Maastricht était un saut vers l’union fédérale. Était-ce trop tôt à l’époque pour le dire ouvertement ? Aujourd’hui, la formation politique dont était issue Simone Veil (UDI) assume parfaitement son fédéralisme. Convaincre à l’époque les Français en se basant sur des mensonges n’augure rien de bons si ces fédéralistes gagnent la bataille idéologique en cours : mondialistes versus patriotes.

On notera aussi la prise de possession des mots tels que pragmatisme ou principe de réalité afin de discréditer sans argument fondé les euroréalistes alors appelés à l’époque eurosceptiques ou europhobes.

Jean-Pierre Chevènement : « La construction européenne enchaine la France à un modèle qui n’est pas celui d’une Europe européenne car l’Allemagne pour toutes sortes de raisons (économiques, militaires, historiques) est tournée vers les Etats-Unis. Autrement dit, on fait de l’Europe la succursale des États-Unis et ce, de manière d’autant plus irréversible qu’on asservit la France à un modèle Allemand qui est celui d’une banque centrale indépendante qui ne laisse place à la politique que comme une sorte d’appendice technique, une Europe Fédérale, une Europe des régions. Sur le plan économique, cette Europe porte la marque du conservatisme. »

Là encore, Jean-Pierre Chevènement anticipe le conservatisme économique de l’Europe mais se trompe sur un point : la BCE est bien politisée mais sur le modèle anglo-saxon néolibéral. Cette politisation est pour la France encore pire que pas de politisation du tout.

Aussi Jean-Pierre Chevènement avait parfaitement interprété de traité de l’Élysée qui affirmait noir sur blanc que l’Allemagne était avant tout tournée vers les États-Unis plutôt que vers l’Europe. A un moment, Simone Veil annonce que l’Allemagne a toujours fait le choix l’Europe : elle ment. Seule la France a fait cette démarche.

Jacques Attali : « L’Europe deviendra une zone déprimée où le chômage explosera si on ne la fait pas. Si on suit la politique que recommande Jean-Pierre Chevènement, la France ne sera qu’une vague province allemande colonisée avec la monnaie allemande comme dominante. […] C’est le principe de réalité. La banque centrale européenne n’aura absolument pas comme fonction de fixer la parité avec le dollar, ça reste heureusement de la compétence des gouvernements (conseil des ministres des finances). »

Sans commentaire… les faits parlent d’eux mêmes. Quant à Attali, il utilise la peur pour servir ses intérêts.

Simone Veil : « Je constate depuis 50 ans que nous avons la paix, que c’est la première fois que dans ce continent de l’aile Ouest Européen il y a la paix depuis 50 ans après des siècles de guerre. C’est ça tout de même le projet européen… elle est fragile l’Europe, il suffit de très peu de choses pour qu’à nouveau ça éclate et que si on ne poursuit pas un projet précis, c’est ce qui se passera. »

Marie-France Garaud : « La paix c’est d’abord la réconciliation Allemande qui a été l’œuvre de de Gaulle et Adenauer. »

Veil : « […] et de Jean Monnet aussi… »

 Quelques années plus tard, des documents de la CIA seront déclassifiés. Il y est révélé que Jean-Monnet était un agent double pour servir les intérêts américains en forçant la construction européenne. Simone Veil a l’air bien fine après ça. Aussi croît-elle que sans l’Europe c’est la guerre assurée : folie !

Ajoutons que la paix ce n’est pas une quelconque Union Européenne. La paix, c’est la bombe nucléaire dont nous a doté le Général. On appelle ça la dissuasion. Certains intérêts étrangers crèvent d’envie de mettre la France à genoux pour qu’elle baisse ses dépenses à commencer dans le domaine militaire. Une fois cette marque d’indépendance achevée, nous serons à la merci des pires rapaces.

Aujourd’hui l’Italie semble relocaliser son industrie mais à quel prix : il a fallu faire une baisse drastique des salaires. La démocratisation de la misère, est-ce ça le rêve européen ? Une monnaie appropriée ne serait-elle pas une solution plus humaine ?

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