Rencontre avec Jean Durandot, maître affineur qui nous fait vivre à travers cet article sa passion du fromage.
Les origines du fromage
Le fromage est un des plus anciens aliments de l’homme. Mais de la découverte du caillé et de sa conservation dans des moules de bois à nos jours, que de tâtonnements, de hasards, de patience et d’expérience pour codifier les interventions ultérieures d’ensemencement, de cuisson, de pressage ou d’affinage et d’obtenir les pâtes molles, les persillées, les pressées et les cuites qui sont sur toutes les tables d’aujourd’hui.
Excellent aliment, le fromage apporte sous un faible volume tous les éléments nutritifs du lait et en particulier protéines, calcium et vitamines. 70 grammes de fromage apportent en moyenne autant de protéines que 100 g de viande.
Les Français sont les premiers consommateurs de fromages du monde devant les Italiens, les Grecs ou les Belges avec une moyenne annuelle de 25 kg par personne, ce chiffre étant encore plus élevé pour les habitants de la région Rhône Alpes.
Un métier à découvrir : l’affineur
Lorsque nous pensons au fromage, la première image qui nous vient est celle de l’animal en liberté, broutant tranquillement une bonne herbe bien verte ; puis c’est le fermier qui apparaît dans le champ de notre imagination, chapeau de paille, brin d’herbes à la bouche et seau à la main.
Arrêtons de rêver : la fabrication du fromage est un métier, un métier de passion très souvent, mais un métier qui demande beaucoup de connaissance et de rigueur.
Aujourd’hui, c’est d’un autre métier du fromage dont je voudrais vous parler : celui de l’affineur. Il prend en charge le fromage « blanc » pour l’amener doucement à celui que nous connaissons sur nos étals.
Pour la majorité des fromages de chèvres, cet affinage est assuré par le fermier lui-même, car il n’excède pas quelques jours ; mais pour les autres, plusieurs semaines ou de longs mois seront nécessaires pour l’amener doucement à maturation.
L’affinage met en œuvre plusieurs agents qui interviennent à des stades différents mais qui travaillent ensuite en collaboration : les enzymes et micro-organismes présents dans le lait de manière naturelle, ceux qui sont apportés par la pressure nécessaire au caillage, ceux produits par les micro-organismes pendant la fermentation. Ensuite interviennent les éléments extérieurs : ce que l’on appelle l’ambiance.
La température : pour chaque produit, il faut déterminer la température optimale, pour que bactéries, levures et moisissures se développent régulièrement.
L’hygrométrie : on peut influer sur la flore de surface du fromage ; pour les pâtes molles à croûte fleurie (camembert, brie) l’humidité est proche de la saturation (92 à 95°), tandis que pour les pâtes molles à coûte lavée (reblochon) 85 à 90° d’humidité suffit.
La teneur en gaz du milieu : pour se développer, les micro-organismes ont besoin d’oxygène ; les caves doivent donc être suffisamment aérées (mais sans courant d’air).
Les supports naturels ont également une grande importance : le bois, la paille ou la feuille ont un pouvoir « buvard » qui dans un premier temps absorbe le trop plein d’humidité, et qui restitue ensuite cette humidité peu à peu au fromage.
Enfin, durant l’affinage, les fromages ont besoin de soins constants et de traitements particuliers en fonction de leur appartenance à telle ou telle famille.
Le traitement de base consiste en des retournements fréquents pour que chaque face du fromage bénéficie d’une oxygénation régulière ; puis certains fromages ont besoin d’un peu d’aide pour former leur croûte : on les frotte régulièrement avec une eau salée contenant … Chut ! chaque affineur, dans chaque région a ses secrets quant à la fabrication de son produit de salage, la morge.
Les saisons du fromage
Le fromage est un produit vivant, qui évolue au fil des saisons. Il est donc fortement dépendant de son environnement – je parle évidemment des fromages au lait cru, les seuls garantissant l’authenticité du terroir, le savoir-faire de l’homme et sa tradition ancestrale gustative.
Le fromage est très dépendant du lait, qui est lui-même influencé par la qualité de l’herbe dont se nourrissent les vaches, chèvres et brebis, gourmandes herbivores. Le printemps est donc la saison la plus prolifique, avec son herbe grasse et riche qui donne des laits parfumés.
C’est la saison de prédilection des fromages de chèvre qui sont délicieux dès le mois de mars (affinage très court tels les Cabécous, Rocamadours); ils sont suivis par les pâtes molles à croute fleurie qui sont à l’apogée fin avril, début mai, compte tenu de leur durée d’affinage de quelques semaines (Brie, Coulommiers, Neufchâtel…).
L’été voit arriver les premières pâtes pressées non cuites (Saint Nectaire et Reblochon). Les fromages à pâtes molles sont à leur plus haut niveau particulièrement les croûtes lavées (Munster, Langres…). Les fromages de chèvre sont toujours excellents.
L’automne offre une deuxième jeunesse au fromage : les pluies reviennent après la sécheresse de l’été, les herbes de « regain » poussent. Les laits sont très riches, très parfumés, avec des arômes souvent plus marqués qu’au printemps ; les chèvres sont plus expressifs, les pâtes molles, plus corsés (Maroilles, Epoisses et Livarot), les pâtes persillées trouvent ici toute leur harmonie (Roquefort, Fourme d’Ambert).
L’hiver évidemment l’herbe est rare, les troupeaux ne sortent pas. La production de lait ralentit et il est moins aromatique. C’est l’époque où il faut déguster les fromages d’alpage fabriqués durant l’été et arrivant à maturité en hiver, tels les Salers, Laguiole, Ossau Iraty. Les caves d’affinage libèrent enfin les Comtés de l’année précédente, les Beaufort, les Gruyères Suisses, toutes ces grosses meules qui ont 16 mois, 2 ans, parfois 3 ans. C’est également le moment de déguster le Mont d’Or.
Ces fromages à déguster l’été
Particulièrement adaptée à la cuisine estivale, la mozzarelle a une fabrication très particulière et unique au monde. C’est un fromage italien à pâte filée dont les meilleurs sont fabriqués à partir du lait cru de bufflonne.
La «Mozarella di Buffala Campana» a une suavité et une délicatesse incomparables, C’est un grand moment de bonheur en plein été, dégusté sur une terrasse avec une tomate bien mûre coupée en tranches, quelques brins de basilic, un filet d’huile d’olive et quelques gouttes de vinaigre balsamique…
L’histoire de ce petit fromage est liée aux marécages du sud de l’Italie dans lesquels, il y a quelque quatre siècles, les paysans faisaient pousser du riz. Les vaches étaient peu résistantes à l’humidité qui régnait dans les prés, d’où l’introduction des buffles. Originaire d’Asie, le buffle a été introduit en Turquie, dans le delta du Danube et dans les marées Pontins. Animal très résistant aux climats chauds et humides, il a d’abord été utilisé pour le travail dans les rizières, puis, peu à peu la femelle – bufflonne ou bufflesse – a été élevée pour son lait d’une composition voisine du lait de brebis. Il est trois lois plus riche en protéines que le lait de vache.
La texture de la mozzarelle tient à sa méthode de fabrication : le caillé, fragmenté, est découpé en morceaux grossiers, puis, lorsque l’acidité voulue est obtenue, le fermier rajoute du petit-lait chaud, l’égoutte et le trempe à nouveau dans du lait chaud. Petit à petit le caillé s’assouplit ; il est alors découpé en lanières, plongé à nouveau dans du petit lait chaud, pétrit, étiré, à tel point que des fils se forment ; le fermier lui donne alors différentes formes : petites boules de la taille d’une cerise, poire, cône ou boules de 250g. Certains fermiers en font aussi des tresses qui sont ensuite découpées à la demande.
Étant dénué de croûte, la mozzarelle doit être consommée rapidement ou conservée (quelques jours) dans son petit lait ou dans de l’eau salée. Elle se prête à de nombreuses recettes d’été, très rafraîchissantes. Au petit déjeuner avec un peu de confiture de fruits rouges, à l’apéritif sur un toast avec du sel et du poivre, en entrée avec des crudités, en dessert avec du sucre ou du miel, les fromages frais se dégustent à tout heure du jour dès qu’il fait un peu chaud.
C’est l’ancêtre de tous les fromages : il s’agit tout simplement de lait caillé plus ou moins égoutté. Les plus frais sont appelés faisselle (de chèvre, de vache ou de brebis). Puis suivant l’égouttage, on l’appelle fromage blanc (battu ou campagnard), nature, salé, avec des herbes…
Chaque région a ses propres recettes : la boulette de Cambrai mélange l’estragon et le poivre, la jonchée Niortaise est affinée sur une natte de roseau, la brousse de Provence se présente dans des faisselles allongées. La cervelle des Canuts (Lyon) se déguste à la cuillère, le Mascarpone se fond dans les desserts, le quark allemand préfère les céréales, le fontainebleau se déguste en dessert, nature ou sucré avec des fruits rouges.
L’effet « Terroir »
La comparaison du vin et du fromage avec le terroir dont ils sont issus semble aller de soi. Seulement, si la vigne plonge ses racines dans la terre, le fromage, lui, est issu de mamelles de ruminants.
Le raisin pressé donne le vin, mais les herbages et fourrages se contentent de donner un bol alimentaire qui va contribuer, semble-t-il de manière indirecte, au remplissage de la mamelle ! Pourquoi malgré tout reconnaît-on des différences entre les différents laits ? Les études de l’INRA mettent en évidence les implications sensorielles de la composition botanique des prairies. Ainsi, dans les Alpes du nord, chez un producteur d’Abondance fermier, dont l’alpage couvre deux versants différents avec une flore et des espèces de graminées spécifiques, chaque versant produit des fromages particuliers : les fromages du versant nord sont globalement moins fermes, plus fondants, plus pâteux et leur granulosité plus fine ; les saveurs sont globalement plus corsées. A l’opposé, sur le versant sud, les fromages sont globalement plus doux. L’effet terroir…
On peut supposer que si les molécules aromatiques des fourrages se retrouvent difficilement en quantité perceptible dans les fromages, d’autres types de molécules influencent les protéines du lait de manière plus intense : les arômes du fromage naissent principalement du travail des protéines et des matières grasses, transformées en molécules de petite taille, très volatiles. Les saveurs et les arômes s’élaborent patiemment et ne cessent d’évoluer. Le comté peut ainsi passer de notes beurrées et végétales à des arômes de noix fraîche et de torréfaction.
Il existe ainsi dans le fromage un ensemble de micro-organismes qui ont pour origine l’animal, la ferme, le matériel, le transport, la fromagerie… ensuite, entre en compte le savoir-faire du fromager qui a une recette, souvent ancestral.
Fromages fermiers, fromages au lait cru, et autres…
Beaucoup de questions nous sont posés par les clients, un peu perdu devant la diversité des appellations figurant sur les étiquettes. Je vais tenter de préciser quelques points.
Un fromage fermier est un fromage au lait cru dont le lait provient d’un seul troupeau. Il résulte d’une transformation rapide – moins de 24 heures – après la traite. Plus ce délai sera court, plus le fromage aura de chance d’être de très grande qualité.
Les fromages fermiers sont l’image de leur terroir d’origine et du savoir-faire des fermiers. Ils sont donc dépendants du climat, et il faut accepter qu’ils soient fluctuants dans leurs arômes et leurs formes et qu’ils soient saisonniers est une preuve d’authenticité.
Un fromage laitier ou artisanal est fabriqué dans une grande ferme (ou une coopérative) à partir du lait de plusieurs troupeaux. Le fromage est en principe au lait cru, mais il peut également être au lait pasteurisé. Ils sont donc plus réguliers dans leur forme et leur goût, mais un peu moins typés. Les traditions sont encore respectées dans la majorité des cas, comme par exemple dans les fruitières comtoises.
Dans le cas des pâtes pressées cuites (comté, beaufort, gruyère) il n’est pas préjudiciable à la qualité du fromage de fonctionner en coopérative, car la quantité de lait à traiter est très importante et de toute façon le caillé sera légèrement chauffé pour obtenir cette pâte homogène.
La grande famille des Bries
Cette famille contient beaucoup de fromages indépendants dont la zone de fabrication et de consommation n’est pas plus grande que son village !
L’origine est un fromage de la forme d’un disque dont on trouve la trace dès Charlemagne. Henri IV l’aimait en tartines et Talleyrand l’a consacré « le roi des fromages » ; Les différents bries se fabriquaient autour de Paris, ce qui permettait de livrer chaque jour et en faisait le fromage préféré des parisiens.
Le Brie de Meaux est un fromage salé, à pâte molle et à croûte fleurie d’un fin duvet blanc ; il est moulé à l’aide d’une pelle à brie, son affinage lent et régulier dure quatre semaines au cours desquelles il est retourné plusieurs fois. Sa texture crémeuse est liée à sa recette (égouttage spontané qui conserve beaucoup d’humidité) et à sa faible épaisseur.
Initialement fabriqué sur le plateau de la Brie, l’aire de fabrication s’est peu à peu élargie vers l’est ; la zone d’AOP s’étend ainsi jusqu’à la Meuse.
Le Brie de Melun n’est pas un petit brie de Meaux : c’est un fromage qui possède sa propre personnalité, il est très rustique. C’est peut-être le plus ancien des bries (Le fromage tenu par le corbeau dans la fable de Jean de la Fontaine) « le Renard et le Corbeau » serait un brie de Melun ! Les novices lui trouvent un goût surprenant, voire piquant, mais il est particulièrement appré cié des connaisseurs une fois bien affiné. Ce fromage à pâte molle est salé uniquement au sel sec, il doit être manipulé avec beaucoup de précautions, en raison d’une grande fragilité. Affiné pendant cinq semaines au moins, il développe une croûte mince, parsemée de stries et recouverte d’un feutrage blanc (la fleur) qui, avec l’affinage peut être tâché de rouge, voire de marron.
La pâte est jaune d’or, bien homogène, souple et élastique, sans mollesse. Il dégage une odeur de moisissure. Consommé de l’été à l’hiver, sa saveur s’exalte au maximum accompagné de poires. Proposez-le également avec du cidre ou de la bière ambrée de la Brie. Plus traditionnellement, en fin de repas accompagné le d’un vin rouge charpenté, boisé mais pas trop tannique afin d’éviter l’apparition de mauvais goûts piquants, voire métalliques.
Et pour finir une petite recette qui ravira vos amis…
Sainte-Maure de Touraine en tapenade
- 300g de Ste Maure de Touraine frais
- 1 tige de basilic
Pour la tapenade :
- 50g d’olives noires dénoyautées
- 20g de thon à l’huile d’olive
- 15g de filets d’anchois
- 10g de câpres au vinaigre
- 1 cuil à café de moutarde forte et 1 d’huile d’olive
La tapenade
Mixer les olives pour obtenir une purée. Déposer la dans un mortier, ajouter les filets d’anchois, le thon, les câpres et la moutarde.
Piler ou mixer le tout. Fouetter la préparation en ajoutant l’huile d’olive et mettre au frais.
Retirer la paille qui traverse le Ste Maure. Ecraser le fromage à la fourchette pour obtenir une pâte crémeuse et former une boule.
Etaler une feuille de film alimentaire sur votre plan de travail, déposer la boule de fromage, recouvrer d’une autre feuille de film alimentaire. A l’aide d’un rouleau à pâtisserie étaler la boule sur une hauteur de 2 cm environ.
Retirer la feuille qui recouvre le fromage et donner lui la forme d’un rectangle. Au centre, déposer sur toute la longueur du rectangle un boudin de tapenade de 3 cm de diamètre environ.
Enrouler le fromage autour du boudin de tapenade de manière à obtenir une bûche bien régulière. Envelopper la dans une feuille de film alimentaire et réserver au frais toute la nuit.
Le lendemain, faites chauffer l’huile de friture à 180°. Effeuiller la tige de basilic et jeter les feuilles de basilic dans l’huile bouillante. Laisser les frire 20 secondes. Server la bûche coupée en rondelles et décorée du basilic frit.
Vous pouvez accompagner la bûche de chèvre en tapenade d’une fougasse aux olives, d’une salade de roquette et de tomates confites relevée d’un peu d’ail haché et d’un Chinon rouge.
Vous pouvez remplacer la tapenade d’olives noires par une tapenade d’olives vertes, une anchoïade, une purée d’artichauts ou de céleri.
En cas de manque de temps (ou de fatigue …) vous trouverez la tapenade toute prête à la Ronde des Fromages …
Touche à tout, j’ai exercé de nombreux métiers dans ma carrière. Depuis peu, je suis membre actif de plusieurs associations et je m’exerce à l’écriture via ce site et un journal local dans ma région.
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