L’homme de la pampa, la fantaisie romanesque du poète uruguayo-français Jules Supervielle est sorti en 1923 sans faire grand bruit à l’époque. De là à voir un mépris très français pour tout ce qui ne vient pas de la métropole, il n’y a qu’un pas que seuls les esprits chagrins comme le mien franchiront sans l’ombre d’un remords. Pourtant, il y a tellement de choses dans ce court roman qu’on peine encore à le ranger dans une case. C’est peut-être ça qui lui valut sa confidentialité, le refus de choisir une boîte où se ranger à un moment où il était mal vu de ne pas choisir : être surréaliste ou ne pas être, telle est la question que refusa de trancher notre auteur.
L’homme de la pampa
Il faut dire un mot sur l’histoire personnelle de notre homme. Né en 1884 à Montevideo, il perd ses parents à 1 an lors d’un séjour en France. Il ne devient pas pour autant un enfant de l’assistance, il est recueilli par son oncle, célèbre en Amérique du Sud pour être le fondateur de la banque du même nom. Ses premières années se passent en Uruguay mais c’est en France qu’il grandit. Toute sa vie, l’auteur fera l’aller-retour entre les deux pays.
Reconnu comme poète, il se lance dans l’écriture d’un roman sur les chaudes recommandations de Montherlant en 1922. C’est la NRF qui se charge de publier le texte en 1923, rendant l’objet culte grâce à une toute petite erreur, un simple ajout de lettre sur la couverture, qui transforme l’auteur en super-héros rabougri.
Depuis, Gallimard a rectifié le tir en le rééditant dans sa formidable collection L’imaginaire. Une parenthèse sur les nombreux livres qui constituent cette collection de “semi-poche”, c’est simple : ils sont tous merveilleux. Bien édité, financièrement accessible, c’est toujours un régal de lecture. Alors, en rentrant dans votre librairie ou votre bibliothèque préférée, si vous voyez une de ces couverture si reconnaissable et si élégante, foncez !
L’homme de la pampa débute, comme il se doit, dans la pampa. On suit un personnage au fort caractère qui décide d’importer un volcan dans la campagne où il règne en maître. Le succès de son entreprise le fait voir plus loin et il décide de s’embarquer pour l’Europe, direction Paris, avec son volcan sous le bras. La traversée ne sera évidemment pas de tout repos. Vous imaginez une farce avec un tel résumé mais détrompez-vous. On est loin des rivages du réalisme mais L’homme de la pampa n’est pas un livre burlesque. Il lorgne plutôt en avance du côté du réalisme magique popularisé par Gabriel Garcia Marquez avec Cent ans de solitude. Passé l’étonnement et les quelques pages nécessaires pour se faire à son style, c’est un plaisir de suivre les idées fantasques de l’auteur à qui elles ne manquent jamais. Il y a un peu d’Écume des jours avant l’heure là aussi, l’aspect mélodramatique en moins. Cet aspect léger m’a plu. Le texte ne s’attarde pas dans la gravité. Il est virevoltant, regorge de trouvailles et s’il ne cherche pas à omettre des thèmes plus sombres et inquiétants, il emporte surtout par sa fantaisie et sa malice.
Enfin, c’est sans doute ce qui explique mon attachement à cette œuvre, j’ai retrouvé l’atmosphère étrange du roman d’un autre voyageur, Blaise Cendrars, qui tient une place à part dans mon panthéon : Moravagine, dont je vous parlerai forcément un jour. Là aussi, il est question de double, plus ou moins maléfique, de conquêtes et d’ambitions, plus ou moins déçues.
L’homme de la pampa mérite qu’on s’y attarde et offre mille raisons de l’aimer. Et puis, on ne résiste pas à un tel nom d’auteur !
Je suis journaliste indépendante et je me passionne pour tout ce qui touche à l’actualité et les médias.