La bataille du Matz (9 – 12 juin 1918)

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Plutôt qu’une offensive de grande envergure, la bataille du Matz est en fait l’acte final des opérations allemandes sur l’Aisne, qui avaient débuté le 27 mai 1918. Elle doit en outre offrir à Ludendorff une position de départ idéale pour menacer Paris. 

Les méthodes qui avaient fait leur preuve en Picardie (21 mars), comme au Chemin des Dames (27 mai), sont reprises exactement. On retrouve donc une tactique semblable à celle des offensives précédentes, avec notamment l’emploi d’une artillerie particulièrement puissante, des infiltrations des lignes adverses grâce aux Stosstruppen, l’effet de surprise, etc.

Une densité d’artillerie impressionnante

Pour obtenir la percée tant rechercher depuis des années, Ludendorff utilise l’artillerie de façon massive. A Verdun aussi, celle-ci avait été employée, sans résultat probant, mais cette fois, la préparation est courte (environ trois à quatre heures) et d’une violence extrême. En fait, si les Allemands avaient disposé d’assez de pièces d’artillerie, ils n’auraient pas lancé plusieurs offensives décalées dans le temps, d’abord sur la Somme, puis sur la Lys, au Chemin des Dames, sur l’Ailette et enfin sur le Matz. Au lieu de cela, ils auraient déclenché une offensive généralisée sur toute l’étendue du front. Il est intéressant de constater que chaque opération du printemps s’est arrêtée au moment du transfert de l’artillerie pour un autre front.

Ce manque relatif d’artillerie est de la plus haute importance. Lorsque l’offensive allemande s’achève en Picardie, les attaques et contre-attaques menées par les Français, les Australiens et les Américains dans le secteur d’Amiens, Villers-Bretonneux et Montdidier, rendent le front très instable et Ludendorff est contraint d’y laisser une proportion non négligeable d’artillerie lourde. Aussi l’offensive sur le Chemin des Dames est-elle réduite à un front d’attaque de 45 kilomètres, beaucoup moins important que celui du 21 mars en Picardie. L’étroitisation du front est également due au fait que la concentration d’artillerie est encore supérieure dans l’Aisne, en raison de la nature du terrain, qui se prête à la défensive.

A la bataille du Matz, comme au Chemin des Dames, la concentration d’artillerie est énorme : 30 batteries au kilomètre, dont la moitié de lourdes. Nous disposons d’un exemple intéressant, celui de la 3. Reserve Division, qui attaque le 9 juin dans la région de Rollot. Elle dispose de 29 batteries de campagne et de 25 batteries lourdes. Au moment de l’offensive du Matz, cette dotation déjà importante est augmentée par l’adjonction d’une dizaine de batteries de campagne et de 15 à 20 batteries lourdes, en vue de permettre la contre-batterie et le tir sur des objectifs lointains. Cela représente 84 batteries pour un front de quatre kilomètres, soit une densité de 21 batteries au kilomètre. La 3. Reserve Division ne faisant pas partie de la masse de rupture lors de l’offensive, qui opère plus à l’est, il est aisé d’extrapoler et de dire que la densité atteint les 30 batteries au kilomètre, qui est d’ailleurs celle de la 19. I.D., qui attaque le 10 juin à Conchy-les-Pots. 

Le dispositif allemand

Le front d’attaque est situé entre Montdidier et Noyon, sur environ 30 kilomètres. La 18. Armee a été choisie pour mener l’opération, mais elle ne dispose pas de réserves suffisantes pour attaquer avec ses seules forces. Il faut donc en trouver ailleurs, en l’occurrence dans le groupe d’armées du Kronprinz de Bavière, qui fournit notamment deux excellentes divisions, la Jäger-Division et la 4e division de la garde. Elles seront toutes deux engagées pour la rupture du front français, le premier jour.

La masse d’attaque comprend dix divisions, c’est-à-dire une densité moyenne d’une division par trois kilomètres de front. Pour conserver l’effet de surprise, particulièrement important et qui avait toujours réussi depuis le 21 mars, les divisions chargées de la rupture sont mises en place au dernier moment, c’est-à-dire pendant la nuit du 8 au 9 juin.

Le reste du dispositif est constitué par les divisions déjà en secteur : 222.I.D., 84.I.D., 3.R.D., 5.R.D., 75.R.D., 202.I.D., 9.B.R.D. (RD : division de réserve ; BRD : division de réserve bavaroise). Trois divisions fraîches venues de la réserve vont enfoncer le front : 3.B.D., 4.G.D., Jäger-Division. (BD : division bavaroise ; GD : division de la Garde). La première d’entre elles était en réserve à la 18. Armee, les deux autres étaient au repos à la 2. Armee. Notons que sur les dix divisions qui prennent part à la première attaque du 9 juin, sept ont déjà été engagées dans des offensives antérieures et trois n’ont pas encore été engagées en 1918 (222., 84. et 202. I.D.).

Les débuts de l’offensive

L’effort principal est donné dans la région à l’est du Matz, sur les hauteurs comprises entre cette rivière et la Divette, au sud-ouest de Noyon. Il se heurte à la 3e armée française : 35e, 34e, 2e et 18e corps, soit neuf divisions en première ligne, cinq en deuxième ligne. 

Le 9 juin 1918 commence par un bombardement très violent, avec beaucoup d’obus à gaz, puis des infiltrations par les Stosstruppen. L’avance la plus importante a lieu au centre, contre la 58e D.I. (secteur Rollot – Orvillers). On se bat avec un rare acharnement sur la colline du Plémont et à Courcelles. Dans la matinée quelques chars allemands A7V interviennent. A midi, la situation est dangereuse sur le front français attaqué. Les premiers renseignements sur la situation sont arrivés au G.Q.G. à 7 heures. Ils indiquent que les Allemands ont atteint ou dépassés la ligne de résistance de l’arrière.

Au soir, Pétain envoie le message suivant à Foch : « A 16 h 30, la situation était la suivante : L’ennemi était devant Courcelles-Epayelles, Méry, Belloy, devant la ferme Bayencourt (sud de Ressons-sur-Matz), la rive nord du Matz, Margny-sur-Matz, le Plessier, bois Brûlé, ferme Saint-Claude. Il était dans le Loermont ; plus à droite, il était contenu sur la Divette. Des divisions réservées, la 18e est engagée tout entière, ainsi que la 126e. J’ai donné la 69e pour reprendre Ressons-sur-Matz. Je viens d’apprendre que la 1re D.C.P. a perdu le plateau de Saint-Claude. Le général Fayolle, en me le faisant annoncer, me demande l’autorisation de mettre la 123e D.I. à la disposition du général Humbert pour étayer le secteur du 2e C.A.. Tous les renseignements sur les rassemblements et colonnes vus font, en effet, présager une grosse poussée en direction de la vallée inférieure du Matz. J’ai donné l’autorisation demandée et je fais amener cette nuit la 121e D.I. à la place de la 123e dans la région d’Estrées-Saint-Denis (…) ». 

Pétain énumère ensuite les divisions dont il peut disposer : « … la 33e D.I., sortie de secteur de la 2e armée cette semaine ; S’il le faut, les 48e et 133e D.I. que je puis amener en quelques heures par autos, l’artillerie suivant à 24 et 48 heures d’intervalle. Ce sont les seules réserves fraîches sur la route de paris, entre Oise et Marne. Enfin, la 14e qui achève de débarquer à l’ouest de Beauvais, fatiguée et incomplète. Il me paraît impossible de faire état des 67e et 153e D.I. en raison des menaces d’attaque qui pèsent sur la 10e armée et de l’usure des divisions de cette armée. En conséquence, si l’ennemi continue à pousser, je ne vois de ressources possibles que dans l’appoint du 22e C.A. britannique ».

Notons que la 14e D.I. « fatiguée et incomplète » vient des Flandres où elle a subi de violentes attaques allemandes et perdu de nombreux hommes à cause des gaz. Le 22e corps britannique est fort de trois divisions.

Pétain envoie aussi sur place une aviation importante : la division aérienne, qui compte quatre groupements d’une taille variable. A titre d’exemple, le groupement Féquant se compose des G.C. 13, 17 et 20 et des G.B. 3 et 4. L’aviation française est renforcée par la 9th Brigade britannique, avec deux wings de chasse et un wing de bombardement. 

Le 10 juin

En réponse à la demande de Pétain, deux divisions britanniques sont mises en état d’alerte et rapprochées du secteur français. A 10 h 15, le G.Q.G. reçoit des messages peu encourageants : « L’ennemi prononce de fortes attaques depuis ce matin sur le front Méry-Belloy-Marquéglise. Notre ligne a fléchi, la situation est imprécise ».

La 3e armée en profite pour faire remarquer à Pétain que les quatre groupements de chars d’assaut qui se trouvent dans le secteur sont toujours inutilisés.

A 16 heures, la ferme Porte et le bois de Vignemont sont perdus, de telle sorte que le 2e corps est très menacé et que son repli est inévitable. Il n’attend d’ailleurs par les ordres pour faire retraite et s’effondre littéralement, ce qui conduit à l’abandon du secteur de Carlepont. Sur le flanc ouest, Méry est pris par les Allemands, mais les Français lancent une contre-attaque ponctuelle. En fin de soirée, les Allemands ne sont plus qu’à dix kilomètres de Compiègne. A 16 heures, Fayolle donne un ordre de contre-attaque : « Une masse de contre-attaque de cinq divisions est en voie de rassemblement dans la zone Maignelay, la Neuvilleroy. Elle est placée sous le commandement du général Mangin. Elle comprendra les 129e, 152e, 165e, 133et 48e D.I.  La mission du général Mangin est de contre-attaquer en flanc l’ennemi qui progresse dans la direction de Gournay sur Aronde. Direction générale : Méry, Cuvilly ».

En dehors des cinq divisions d’infanterie, Mangin dispose des éléments suivants : deux régiments d’artillerie portée (46e et 246e R.A.C.) ; quatre groupements d’A.S. (chars Schneider et Saint-Chamond) ; une brigade d’auto-canons britanniques.

La contre-offensive sera lancée par les 129e (avec deux groupes de St-Chamond), 152e (4 groupes de Schneider), 165e (3 groupes de Schneider) et 48e D.I. (trois groupes de Saint-Chamond), la 133e D.I. restant en réserve (autos-canons britanniques).

Mangin termine son ordre général par les phrases suivantes : « L’opération de demain doit être la fin de la bataille défensive que nous menons depuis plus de deux mois, elle doit marquer l’arrêt des Allemands, la reprise de l’offensive et aboutir au succès. Il faut que tout le monde le comprenne ». 

Mangin contre-attaque

La contre-offensive de Mangin est lancée vers midi. Reprise de Méry, de Belloy. Après trois-quatre kilomètres, l’avance est bloquée après Courcelles. Le commandant Rochard envoie un compte-rendu à Foch, le 11 juin à 22 h 50, dans lequel on lit notamment : « La bataille semble avoir été très dure. Les Allemands, nombreux, ont tenu très fort. Il semble que derrière, il y avait du monde instamment dans la région de Lataule. On craignait en fin de journée une contre-attaque ennemie partant de Le Frétoy, le Fronquoy. La 133e D.I. n’a pas été engagée. Il semble que la gauche de l’attaque (129e, 152e) a été très gênée par les tirs d’art. de Rollot qui la prenaient de flanc. L’attaque des deux D.I. du sud qui n’avaient pas affaire aux mêmes difficultés a mieux réussi. L’ennemi a subi des pertes très sérieuses : un millier de prisonniers et 3 canons sont déjà dénombrés ». Foch répond en ordonnant la reprise de l’offensive de Mangin pour le lendemain, puisqu’il est clair qu’elle n’a pas porté tous ses fruits. Les Allemands ont d’ailleurs poursuivi leur avance vers le sud, jusqu’à Mélicoq. Ils n’iront pas plus loin. 

La bataille s’achève

La contre-offensive française reprend le 12 juin, mais son avance ne dépasse pas deux kilomètres. Pendant ce temps, au centre-est, la reprise d’une partie du terrain perdu s’effectue sur un kilomètre environ. L’attaque de Mangin n’a pas permis de récupérer tout ce qui avait été perdu depuis le 9 juin, loin s’en faut, mais elle a bloqué net l’offensive allemande. Dès le 11 au soir, Ludendorff prend la décision suivante, ainsi qu’il le note dans ses mémoires : « le commandement suprême se résolut à arrêter l’offensive de la 18. Armee pour limiter les pertes ». En tout, les Allemands ont engagé, du 9 au 13 juin, 18 divisions, pour un gain territorial maximal d’une douzaine de kilomètres. Le 13 juin, la bataille diminue en intensité, puis cesse. Elle a été de courte durée, mais d’une violence extrême. Le chiffre des pertes françaises, du 5 au 15 juin, en témoigne : 60.030 hommes hors de combat, 97 avions abattus, 212 canons tombés aux mains de l’ennemi, 38 canons détruits, 326 canons accidentés, 1.750 mitrailleuses, 4.240 F.M., 35.500 fusils. Mais Compiègne n’est pas tombé et les Allemands n’ont pu relier le saillant de l’Aisne avec celui de la Somme, afin de se préparer une meilleure base de départ pour l’offensive finale. 

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