Le film L’Assemblée raconte l’aventure démocratique Nuit Debout

Partager cet article

Dans son film L’Assemblée, sorti le 18 octobre 2017, Mariana Otero montre les aventures démocratiques de Nuit debout à Paris. Une ébullition citoyenne qui a marqué le printemps 2016.

Mariana Otero, documentariste formée à l’IDHEC, ancêtre de la Fémis, a suivi assidûment les aventures de Nuit Debout au printemps 2016, en particulier les Assemblées générales et la commission Démocratie. À Nuit Debout, tout est parti du combat contre la loi El Khomri. Mais ce rassemblement citoyen, place de la République, prenant une ampleur inédite, a tenté pendant quatre mois de réinventer la démocratie, en créant une dynamique de débats sans chef et sans représentants. Le film de Mariana Otero, L’Assemblée montre cette chorégraphie des paroles où chaque voix improvisée compte. Le regard amical de la réalisatrice sur ces interventions n’occulte jamais la précarité du dispositif et les difficultés quotidiennes : l’oppression policière, la pluie ou les accrocs organisationnels.

Au départ, étiez-vous à Nuit debout en tant que militante ou comme cinéaste ?

D’abord, j’étais présente pour aux réunions de préparation de Nuit debout, un mois auparavant. Nuit debout ne s’est pas fait en un seul jour. Au départ, la question était simplement : qu’est-ce qu’on va faire contre la loi El Khomri ? Puis le 31 mars 2016, après une manifestation contre la loi travail, nous avons décidé de ne pas rentrer chez nous. Le premier jour, j’étais vraiment là comme militante, pour distribuer des tracts. J’ai sorti ma caméra à partir du 2ème jour, le 32 mars, selon le calendrier de Nuit Debout.

En quoi la place de la République est-elle un lieu emblématique ?

La place de la République est un lieu important parce que c’est une place qui a connu le deuil, le recueillement, à la suite des attentats de l’année 2015. Cette place, extrêmement symbolique à Paris, n’est pas un un lieu comme les autres. L’enjeu était de se la réapproprier, en faire un lieu de vie et de discussion, en accaparant et réinventant la politique.

Le sous-titre du film résume l’enjeu de Nuit Debout : « Comment parler ensemble sans parler d’une seule voix ? » En quoi cette idée vous tient-elle à cœur ?

Ce qui était beau à Nuit Debout, c’est l’avènement d’une parole citoyenne de non professionnels de la politique. Chacun pouvait porter une voix singulière, et à partir de toutes ces voix, ils ont essayé de construire un idéal de démocratie directe, participative, où il ne s’agissait pas de s’aligner derrière un chef. La majorité n’y écrase pas la minorité, faisant vivre toutes les singularités. C’est l’inverse de l’Assemblée Nationale. Le discours marketing d’En Marche sur les députés « issus de la société civile » a totalement perverti l’idéal de Nuit Debout. D’un point sociologique, En Marche n’est en rien représentatif de notre société.

Anne Hidalgo, maire de Paris, n’a pas soutenu Nuit Debout, et pourtant les conseils de quartiers visent la démocratie locale. Qu’en pensez-vous ?

Si Hidalgo promouvait réellement la démocratie locale, elle aurait accueilli Nuit debout avec joie. Les conseils de quartier sont une pure mascarade. Ils sont à l’initiative de la Ville, qui les organise : ils n’émanent pas des habitants eux-mêmes, contrairement à Nuit debout. La démocratie locale doit venir d’en bas. En quand c’est le cas, on l’écrase. La politique de la Ville a été dure. Anne Hidalgo parlait de privatisation de la place de la République, alors que c’est l’inverse. Elle n’a jamais cherché à stopper la violence des CRS envoyés par la préfecture.

Une séquence du film évoque l’hostilité des médias envers Nuit Debout. Comment l’avez-vous ressenti à l’époque ?

Les médias présentaient Nuit debout comme un rassemblement de jeunes qui font la fête et cassent des infrastructures. Le film montre justement la gravité des participants, le sérieux avec lequel ils s’engageaient dans le mouvement.

Dans le film, on entend un jeune homme parler de débats « petit bourgeois ». Que pensez-vous de ce reproche ?

Nuit Debout ressemble à ce qu’est devenue la population parisienne : l’augmentation des loyers a chassé les classes populaires. Pour autant, il y avait trois fois plus d’ouvriers à Nuit Debout qu’il n’y a d’ouvriers habitant Paris.

Dans le film, on entend une participante plaisanter « la météo est vraiment de droite ». Vous montrez les problèmes techniques assez prosaïques : la pluie, les problèmes de sono. Pourquoi est-ce important de le montrer ?

Puisqu’il n’y a pas d’instance de réelle démocratie participative, celle-ci a dû occuper un lieu ouvert à tous, où il fallait sans cesse réinstaller les tentes, sous la pluie, sous les gaz lacrymogènes, avec une pression policière constante. C’est aussi cette fragilité que j’ai voulu montrer.

En quoi le film est-il toujours d’actualité ?

La question « Comment inventer la démocratie directe » est toujours plus actuelle. Nous avons un gouvernement qui fait entrer l’état d’urgence dans la loi. Il gouverne par ordonnances, veut réduire le nombre de députés, le temps de parole au Sénat. Il amenuise encore la démocratie. Or ce film raconte une soif de démocratie. Le mouvement ne résout pas les problèmes, mais il ouvre des pistes. Nuit debout elle-même ne resurgira sûrement pas en tant que telle, mais des gens se sont politisés sur la place, sont entrés dans des mouvements, ont rejoint les anarchistes, les autonomes, divers réseaux. Dès qu’une union de la vraie gauche se dessinera, Nuit Debout peut exister sous une autre forme.

Partager cet article

Ajouter un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.